En 1916 et 1917, la 6e DI est composée principalement de la 11e brigade (24e et 28e R.I.), de la 12e brigade (5e et 119e R.I.), et au niveau artillerie de 3 groupes de 75 et du 22e R.A.C., et des compagnies 3/2 et 3/52 du 3e régiment du génie, ….
open_in_new Le lieutenant Frédéric de Merode est traducteur-interprète auprès du général de Barescut à la 6e DI ; ils se cotoient souvent. Ses parents possèdent le château de Trelon, investi par le Kaiser, et que les anglais ont essayé de bombarder, à partir d’informations données par Mérode à Barescut.
Extrait de l’historique du 28ème Régiment d’Infanterie (Lieutenant Jouannon)
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LE CHEMIN-DES-DAMES
Après une période d’instruction au camp de Gondrecourt (janvier et février 1917) et une période de travaux dans la région nord de Lunéville,) à Einville (mars 1917), le régiment embarque en chemin de fer près de Nancy et vient stationner au sud de Château-Thierry.
Le 1er avril, la division a terminé sa concentration. Elle fait partie de la Xème armée qui doit participer à l’offensive en préparation. Elle a subi au camp de Gondrecourt, une instruction intensive en vue de l’exploitation du succès espéré.
Le général de Barescut, qui la commande et en a dirigé l’instruction, a la confiance de tous. Chacun sait de quelles hautes connaissances il a fait preuve à l’état-major de l’armée de Verdun. Sa bravoure est connue du poilu qui l’a rencontré souvent, vêtu d’une capote boueuse, entre Souville et Hardaumont.
Le 16 avril, à midi 20, la progression des troupes d’exploitation est arrêtée. Le 28ème, qui a atteint Baslieux-les-Fismes, fait demi-tour et vient réoccuper ses cantonnements au sud de Fère-en-Tardenois.
Le 4 mai, la division est constituée sur le type des divisions à 9 bataillons d’infanterie.
Le 5ème régiment d’infanterie (qui s’est illustré au Godat en 1914) la quitte ; le 24ème, le 28ème, le 119ème, forment désormais l’infanterie divisionnaire sous les ordres du général Pineau.
Le général Poignon succède au général de Barescut, appelé aux fonctions d’aide major général.
Jusqu’au 29 mai, aux cantonnements de Villemoyenne et de Jouarre, le régiment s’entraîne en vue de son intervention toujours probable dans la bataille qui se livre, acharnée, sur le Chemin-des-Dames.
Le 1er juin, la 6ème division d’infanterie, passée à la VIème armée, monte en secteur.
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Notes du général de Barescut écrites le 29 décembre 1916
Je pars le matin pour Paris. Le ministre avait fait téléphoner la nuit qu’il ne pourrait me recevoir qu’à midi, midi ½ ……… Ce n’est qu’à 1h que le ministre me reçoit …… « mon général, lui dis-je, j’ai reçu l’ordre de venir me présenter à vous : me voici ». Il me dit alors quelles sont les intentions ; il ne connaît rien de la guerre actuelle, il veut avoir un chef de cabinet opérations qui lui tiennent ses cartes, le mettre au courant de ce qui se passe ; il aurait son petit état-major qu’il choisirait et qui serait chargé de le renseigner sur toutes les opérations militaires….. Il ajoute que je n’aurai rien à voir avec les hommes politiques, que je serai débarrassé de toute cette besogne. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire que cela me paraissait bien difficile d’être chef de cabinet militaire d’un ministre de la guerre sans recevoir les hommes politiques. Je lui ai dit alors simplement « pardonnez-moi mon général ….. je n’ai pas la souplesse nécessaire ». Il m’a dit de réfléchir, de rester 48h à Paris et de revenir lui parler. Je lui ai répondu que ma division était à Verdun, sous le feu en pleine action, que j’avais eu les larmes aux yeux en la quittant la veille, que mon devoir était d’aller la rejoindre. Il me dit alors que lui aussi avait eu beaucoup de peine à quitter le Maroc, mais qu’il y avait des exigences auxquelles il fallait se plier – Non décidément, ai-je repris, je ne suis pas le chef de cabinet qu’il vous faut ….. « En tous cas, je ne veux pas vous forcer la main, c’est bien rejoignez votre poste »…..
J’ai eu une carrière toute de droiture et de loyauté. J’ai eu dans cette guerre, tous les honneurs qu’on peut avoir et je ne veux pas sur la fin de ma carrière militaire voir ternir tout un passé, passé que je dois léguer à mes enfants. Comme mon père m’a légué le sien….Je suis reparti tout heureux pour Souilly – à Châlons j’ai téléphoné au général Pont que je n’avais pas accepté et d’en rendre compte au général Nivelle, que je n’avais pas voulu me lancer dans cette galère. Constituer un grand état-major opposé à celui de Chantilly. J’ai vu aussi le général Pétain. Je l’ai trouvé triste. Il m’a approuvé d’avoir refusé …..
Notes du général de Barescut écrites le 5 janvier 1917
Travail le matin – j’organise le service des officiers de renseignements des régiments. Le soir avec Ciambelli je vais voir les 4 bataillons (un de chaque régiment) qui sont descendus de 1ère ligne cette nuit. D’abord à Haudainville je vois le lieutenant-colonel Le Beurrier, commandant le 5e RI. Il a été grièvement blessé au début de la campagne et se ressent parfois de sa blessure. Je l’ai forcé à descendre au repos à Haudainville. Je vais ensuite dans les péniches sur le canal – vu les bataillons des 5e, 28e et 24e. Ces hommes sont fatigués – partis hier soir vers 6h des 1ères lignes – ils sont arrivés dans la matinée – effectif très réduit, 80 à 90h par compagnie – de vrais blocs de boue ; ils sont affalés sur la paille sale et moisie des péniches – sans changer de linge, sans se laver, ne pensant qu’à dormir et à manger – heureux néanmoins d’avoir échappé à l’enfer. Vu cependant quelques bonnes figures ; on m’a présenté de braves soldats, de ceux qu’on dit vraiment braves ; et quand on dit cela d’un homme, devant ses camarades, c’est qu’il l’est vraiment. Vu tous ces jeunes sous-lieutenant, des enfants admirables au feu, entraîneurs d’hommes, mais sans expérience, ne s’occupant pas d’eux, de leur installation, de leur cantonnement, de leur nourriture. J’ai donné des ordres pour que tout cela change.
J’apprends qu’un compagnie en ligne à l’ouest de Bezonvaux n’a plus que 65h en ligne – C’est peu ! Je n’aurai bientôt plus personne, je n’aurais plus qu’à faire monter mon Dépôt Divisionnaire en ligne.
En rentrant, beau clair de lune. On entend un tir de barrage ; le ciel est sillonné de lueurs. Des légions de gros rats courent à travers les trous d’obus. Nous pataugeons dans la boue et atteignons enfin la Tourelle – si hospitalière ! A l’entrée le Boche prisonnier tourne inlassablement le ventilateur.
Et l’on va nous enlever nos prisonniers boches.
Notes du général de Barescut écrites le 6 janvier 1917
Le matin tout est blanc. Cette nuit le colonel Putois, chef d’E.M. de la IIe armée, m’appelle au téléphone. Il me prévient que Mr Clemenceau viendra le lendemain matin déjeuner chez mois avec 2 officiers ………….
Vers 11h30 allé avec Ciambelli au-devant de nos visiteurs. C’était le général Muteau lui-même avec Clemenceau et un officier du G.A.C. Ils ont déjeuné avec nous. Le Tigre était doublé de son valet de chambre qui lui ôtait ou lui remettait son pardessus et lui portait dans une petite boîte son pain spécial. Clemenceau n’a été ni plus aimable ni plus revêche qu’à l’ordinaire. Il a eu quelques mots durs pour l’Etat-Major, a trouvé que dans notre Tourelle nous nous soignions trop bien, a dit à l’un de nous que les civils avaient aussi leur drapeau, ce qui a amené la riposte « j’espère bien que c’est le même » ! Il a voulu à toute force aller à Douaumont pour y coucher. Nous avons fait venir un officier de MF4 qui l’a pris et emmené au fort. Bon voyage.
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Notes du général de Barescut écrites le 15 janvier 1917
Neige et froid. Me lève tard. Il y avait longtemps que je n’avais pas eu un aussi bon lit – repos complet.
Le matin j’erre dans la village et je travaille un peu jusqu’au déjeuner. Mettre des papiers en ordre, lire les nouveaux règlements, le soir avec le chef d’E.M. je vais voir la 11e brigade (colonel Pineau) répartie entre les cantonnements de Seigneulles[1], Condé, Marat[2]. Cantonnements mal installés. On voit qu’on est loin à l’armée de ce qui se passe dans les cantonnements ; on croit que tout est installé et en réalité il n’y a rien – ni châssis, ni lits, ni feuillées[3], ni douches … Cela me fait un grand bien d’être dans la troupe et de voir de près les nécessités.
[1] 28e RI, selon son JMO.
[2] Condé-en-Barois et Marat-le-Grande (JMO du 24e RI).
[3] Latrine extérieure, creusée dans le sol, servant aux soldats.
Notes du général de Barescut écrites le 19 décembre 1916 – mardi 1ère nuit dans mon abri. Je n’ai pas eu froid, mais j’ai mal dormi n’étant pas habitué à une canonnade incessante – ce qui est honteux. J’ai travaillé toute la matinée – Vu le commandant de Bellussière avec lequel j’ai beaucoup causé – Vu également Mr Harjes et l’ai invité à déjeuner dans mon PC. Excellent déjeuner. Le soir j’ai été à PC Tourelle. Vu Passaga. ………
23 décembre 1916 …. Monsieur Harjes pour me remercier de l’hospitalité de l’autre jour, m’a envoyé une magnifique boîte de bonbons de chez Rhum. Elle a été appréciée de tous.
16 janvier 1917 …. Vu Mr Harjes, tout heureux de sa citation à l’ordre du CA. Je lui ai promis de lui remettre sa croix devant le front des troupes et que nous ferons une grande fête à laquelle nous inviterons Mme Harjes.
1er février 1917 Toujours très froid. Le matin je travaille mes thèmes et prépare les différents exercices. Mr Harjes vient déjeuner. Dans la salle à manger je lui épingle sa croix de guerre – petit laïus – déjeuner – Il était très ému – excellent déjeuner, champagne ……
Notes du général de Barescut écrites le 9 février 1917
Le matin je pars avec le lieutenant-colonel Le Beurrier que j’avais envoyé chercher à Boville pour Châlons où nous avait invité le général Pétain ; j’y ait trouvé tous les chefs d’E.M. successifs qu’avait eu le général comme brigadier, commandant de DI, de CA, d’armée, de groupe d’armée. Le général Monroe commandant de CA était là, ainsi que le lieutenant-colonel Planche qui était son chef d’E.M. quand il était brigadier. Excellent déjeuner avec croquis et même rappelant les grandes affaires auxquelles avait pris part le général Pétain avec chacun de nous – après déjeuner nous nous faisons photographier[1] ensemble.
J’ai pu très peu causer en particulier avec le général Pétain …
[1] Au dos de cette photographie il y a la note autographe suivante : « Chefs d’État-major successifs du Général Pétain : 4e Brigade, commandant Pourailly ; 6e Division, lieutenant-colonel Planche ; 33e corps d’armée, général Monroë ; 2e Armée, général de Barescut ; groupe d’armées, lieutenant-colonel Serrigny. Février 1917, Signé Pétain »
Notes du général de Barescut écrites le 28 janvier 1917
… Un caporal du groupe de canevas de tir est en panne. Il vient me trouver. Il était dans un camion avec Patriarche et deux de ses camarades. Ils étaient venus pour prendre ma photographie. Je les fais manger et coucher à Vavincourt. ….
5 février 1917
Le matin, le sculpteur Patriarche, du groupe de canevas de tir de la 2e armée est venu. Il a continué avec l’argile la plaquette qu’il avait commencée. C’est un homme intéressant qui s’est fait lui-même, véritable artiste. …
12 février 1917
… Patriarche vient le matin pour terminer sculpture. Sa cire molle est bienvenue – j’ignore ce que cela pourra donner en cuivre.
Notes du général de Barescut écrites le 25 décembre 1916 – Noël … Le soir excellent dîner de Noël – bonbons – dinde, foie gras, bûche de Noël, le tout arrosé de vins généreux – notre interprète de Merode était venu du PC Carrière assister à notre festin. …
16 février 1917 … Rentré (avec de Merode) à 19h30. En retard pour le diner. Il me raconte en cours de route tous ses démêlés à Paris au bureau de la presse où il était interprète stagiaire.
14 mars 1917 Parti de Rosières à 6h30 avec de Merode ; pris le train à Nancy, arrivé à Paris vers 15h ; 1 heure de retard c’est peu. …
4 avril 1917 … Je vais rejoindre de Merode au 2e bureau (commandant Reboulleau) et j’obtiens quelques renseignements sur la situation. Je vois le général Duchêne, toujours le même face au Boche. Il me demande où j’avais connu Dufieux …
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Notes du général de Barescut écrites le 1 mai 1917
Journée chaude et superbe. Visité le matin la cantonnement du 5e à Villeneuve-sur-Feu. Le soir, à cheval, assisté à la manœuvre de la 11e brigade – 28e régiment – bonnes manœuvres. Toujours les liaisons qui ne fonctionnent pas comme je les désirerais.
Je fais partir en permission le plus d’hommes possible.
Notes du général de Barescut écrites le 2 mai 1917
Belle journée. Visité le matin le PAD6. Le soir assisté à une manœuvre de la 12e brigade.
Deux mauvaises nouvelles :
1. La 6e DI va être à 3 régiments. Le 5e sera enlevé et le général Pineau sera commandant de l’infanterie.
2. Je suis nommé aide-major-général au G.Q.G. Je quitte le commandement de ma belle DI que j’espérais mener à la bataille. Je rentre dans l’état-major.
C’est en pleurant que j’écris ces lignes.
Le général Pétain remplaçant le général Nivelle, aurait pris avec lui le général Debeney. Le général Mangin limogé serait remplacé par le Général Maistre. J’avais vu dans les journaux qu’on allait faire des changements dans les états-majors. Je fais partie de la fournée. Que la volonté de Dieu soit faite.
Notes du général de Barescut écrites le 26 mai 1917 (il est alors au G.Q.G.)
Vue ce matin le major Menschaert de la mission belge au G.Q.G. Il me dit que le Roi des Belges a été vexé et c’est pour cela que le général R… ? a écrit sa lettre ; il faut que le général Pétain aille voir le Roi. Tout cela s’arrangera lui dis-je.
D’ailleurs le Roi n’a pas du tout l’intention de faire attaquer son armée. Nous savons d’autre part que les Allemands se méfient, qu’ils ont rassemblé des forces dans les Flandres. Je présente au général Pétain le projet de lettre au Maréchal Douglas Haig – il la signe ; le Maréchal répondra à cette lettre mardi et le général Pétain, sachant mercredi ce que veut le Maréchal Douglas Haig, ira voir le Roi des Belges et tachera d’obtenir son consentement. Il y aura alors une convention écrite, que les trois contractant signeront.
Vu le général des Vallières tout heureux de reprendre le commandement d’une division. Il m’a beaucoup parlé des Anglais. Gens très sûrs, très sérieux, cherchant à tout faire réussir, mais cherchant aussi en ce moment à prendre la haute direction de la guerre et peu soucieux de voir les U.S. entrer en scène pour qu’ils réclament, après la guerre, leur place autour du tapis de la salle de conférence.
L’activité continue a être très grande sur le Chemin des Dames. Les Boches cherchent à nous enlever peu à peu toutes les positions que nous avons conquises.
Les Italiens continuent leur succès. Depuis le début de leur offensive, ils ont fait plus de 22.000 prisonniers.
Je suis chargé de la confection du communiqué radio. Le lieutenant Jean de Pierrefeu me l’apporte tous les soirs et nous cherchons ensemble la meilleure forme à lui donner. Dur labeur.
Je reçois sans cesse des lettres des officiers de mon ancienne division. C’est pour moi la meilleure des récompenses de voir l’affection que je trouve dans ces lettres ; toutes me disent le regret de mon départ et j’y suis très sensible.
Vu le général Buat : il est resté une heure avec moi ; il désirerait que le général Herr prenne la direction supérieure de l’artillerie et en même temps le commandement de la R.G.A.C. (Réserve Générale d’Artillerie de Campagne), ce qui lui permettrait, à lui Buat, de prendre un commandement.
Notes du général de Barescut écrites le 23 juin 1917 (il est toujours au G.Q.G.)
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Reçu aujourd’hui des récits anecdotiques sur la splendide résistance du 119e Régiment d’Infanterie aux attaques du 6 juin (1). Cela m’a fait plaisir. J’avais une belle confiance dans le 119e et je n’ai pas été trompé.
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(1) Cf. le JMO du 119ème RI.